Abou Dabi n’était donc pas le moindre des défis pour ce jeune ambassadeur, diplômé de l’ENA – la fameuse promotion Léopold Senghor – mais qui possédait déjà à son arrivée une solide expérience du corps diplomatique. Entré au Ministère des Affaires étrangères en 2004, Xavier Chatel a été négociateur au Conseil de Sécurité de l’ONU sur les dossiers de prolifération nucléaire et de désarmement (2007-2010), conseiller politique à l’Ambassade de France à Londres (2010-2012) puis porte-parole de la même Ambassade (2012-2014), avant d’occuper les fonctions de sous-directeur en charge de l’Egypte et du Levant au Ministère des affaires étrangères (2014-2017). Il a également occupé les fonctions de Conseiller diplomatique de la Ministre des Armées de mai 2017 à fin août 2020.
La communauté française des Emirats arabes unis, avec ses quelque 30000 résidents, ses 7 établissements scolaires, des symboles forts comme la Sorbonne Abu Dhabi, le Louvre Abu Dhabi, peut donc compter sur un ambassadeur très engagé – mais pas insensible pour autant : témoin l’émotion suscitée lorsqu’il a recueilli Juji, l’oiseau d’une Afghane évacuée de Kaboul par l’armée française, soigné affectueusement à la résidence de France en attendant que sa propriétaire puisse le récupérer.
Quel bilan dressez-vous depuis votre nomination au poste d’ambassadeur aux Emirats arabes unis en septembre 2020 ?
Depuis un an et demi, nous n’avons pas chômé ! Le 3 décembre dernier, nous avons coordonné la visite du président de la République. Un contrat pour la vente de 80 avions Rafale aux Emirats a été signé. Ce contrat nous ancre pour plus de cinquante ans dans le pays. Nous avons également conclu 15 milliards d’euros d’accords hors commandes militaires. Nous avons aussi paraphé le renouvellement de l’accord de marque sur le Louvre Abu Dhabi pour une durée de dix ans. Cela pérennise cette coopération magnifique qui est une réussite sans exemple. Enfin, nous avons développé de multiples axes de coopération avec les Emirats.
On vous imagine tourné vers l’avenir et vers le développement de nouveaux partenariats entre la France et les Emirats arabes unis…
Nous avons en effet semé de nombreuses graines pour de grands projets d’avenir. Nous ne pouvons pas vivre seulement des projets existants. Notre mission, c’est aussi d’inventer l’avenir. Nous avons déjà identifié des secteurs porteurs comme la santé et la musique. Nous avons aussi l’ambition d’accélérer le travail triangulaire avec les Indiens. Cela rentre pleinement dans l’esprit de la relation indopacifique de la France. Bien sûr, nous avons l’aval des trois capitales : Paris, Abou Dabi et New Delhi. Les perspectives sont belles.
Le rôle d’ambassadeur est-il celui que vous imaginiez avant d’en endosser le costume ?
J’avais l’expérience de la diplomatie puisque je suis entré au Ministère des Affaires Étrangères en 2004. Mais la réalité au jour le jour est forcément différente. Au quotidien, vous êtes dans l’action. Vous êtes sur le tarmac d’une base militaire devant un avion qui s’ouvre avec des réfugiés en détresse. Vous êtes en permanence dans des négociations pour faire avancer nos intérêts économiques et culturels. Vous êtes près des Français pour les rassurer après les attaques de missiles. Vous êtes dans la gestion de la pandémie au sein d’une structure de 130 personnes qui doit continuer à assurer le service public. Le rôle de représentation n’est pas celui que les citoyens imaginent. Nous ne sommes pas dans la frivolité. Quand on se présente en public, il faut essayer de susciter l’empathie ; vous devez projeter une image telle que les gens auront envie de visiter notre pays, d’y investir, et de l’écouter aussi, car ils le respectent et car sa voix porte.
Le dynamisme économique de la communauté française aux Emirats arabes unis est loué par tous. Est-ce que votre rôle, c’est aussi l’accompagnement de ces sociétés grandes ou petites ?
C’est absolument fondamental et je suis heureux que vous citiez les petites sociétés. Car on oublie trop souvent que notre représentation économique n’est pas circonscrite aux seuls groupes du CAC 40. Nous sommes là pour aider toutes les entreprises françaises. Business France et la Chambre de Commerce jouent un rôle important. Ma porte est toujours ouverte quand des entrepreneurs ont des difficultés ou des doléances. Notre rôle consiste souvent à faire de la pédagogie avec les acteurs politiques et économiques locaux. J’étais récemment en rendez-vous avec un patron d’une très grande entreprise émirienne à Dubai. Il m’a confié que l’Ambassade de France était peut-être l’ambassade européenne la plus active dans le domaine du business. C’était, je l’avoue, un beau compliment. Nous sommes évidemment très fiers, par exemple, que la société française Keolis ait obtenu la maintenance du métro et du tramway de Dubaï pour une durée de quinze ans.
L’Exposition Universelle Dubaï 2020 a été une belle vitrine pour la France, son savoir-faire, sa culture… Est-ce une fierté ?
La France a bénéficié d’une grande visibilité. On ne peut que s’en féliciter. Nous avons essayé de faire rayonner ce que représente la France, son savoir-faire, sa présence politique, sa population, sa technologie, son innovation, ses paysages poétiques, son identité. Un million et demi de visiteurs – soit environ dix pour cent de la fréquentation totale de l’exposition universelle – ont visité le Pavillon de France. 400 délégations d’affaires ont aussi marqué l’événement de leur présence. Elles ont trouvé des clients, des perspectives à l’exportation, des investisseurs pour leur tour de table. L’Expo a par ailleurs été visitée par une noria de ministres français, qui ont manifesté ainsi l’intérêt de la nation pour cet événement et pour la belle représentation de notre pays: je pense notamment à Jean-Yves Le Drian (Ministre des Affaires étrangères), Franck Riester (Ministre délégué du Commerce extérieur), Florence Parly (Ministre des Armées), Bruno Le Maire (Ministre de l’économie), Alain Griset (Ministre délégué aux PME), Jean-Baptiste Djebbari (Ministre des Transports), Emmanuelle Wargon (Ministre déléguée chargée du logement) ou Roxana Maracineanu (Ministre déléguée chargée des Sports).
L’évacuation des réfugiés afghans depuis la base militaire française d’Abou Dabi a été un véritable moment de solidarité et d’humanité…
La chute de Kaboul aux mains des talibans est un événement qui a marqué notre action de manière indélébile. Toutes les équipes de l’ambassade ont été sur le pont jour et nuit pendant deux semaines pour évacuer près de 3000 personnes, dont de nombreux Afghans. C’est un véritable motif de fierté. Ce n’était pas simple. C’était même très lourd humainement. Mais nous avons la sensation d’avoir réalisé quelque chose de bien en faisant montre d’autant d’humanité qu’on le pouvait.
Vous avez loué la coopération des Emirats arabes unis dans l’évacuation des ressortissants afghans…
Les Emirats arabes unis ont tout de suite répondu présent. Ils m’ont assuré immédiatement de leur aide et de leur soutien. Pour un pays souverain, accepter qu’une noria d’avions militaires évacue en passant par son territoire les ressortissants d’un pays en guerre n’était pas forcément chose aisée. Ils nous ont fait confiance en nous donnant toutes les autorisations. Nous avons été très transparents avec eux. Nous leur avons assuré qu’aucun réfugié ne quitterait la base. Et nous avons tenu notre parole. Sans la coopération des Emirats arabes unis, rien n’aurait été possible.
Comment va Juji, l’oiseau de la jeune réfugiée afghane que vous avez accepté de recueillir ?
Juji va très bien. Il est gras et potelé. Il est très bien traité. Mais j’ai été bien triste de devoir annoncer à sa propriétaire que je ne pourrai pas le lui ramener. Il appartient à une espèce invasive que la loi ne permet pas de faire venir en France. Mais j’envoie souvent des images à sa jeune propriétaire afghane. De manière émouvante, elle m’a dit que dès lors que l’oiseau était en vie et si bien traité, elle serait éternellement reconnaissante.
En quelques mots, comment résumer la relation de la France avec les Emirats arabes unis ?
C’est une relation tous azimuts, d’abord. Il n’est presque aucun domaine qui y soit étranger, qu’on parle de culture, d’éducation, de business, de défense, de technologie… Et c’est une relation d’une grande constance ensuite, à travers les alternances électorales et les évolutions géopolitiques. Pas de coup de barre, pas de surprise. Les Emiriens aiment, je crois, travailler avec nous ; et c’est, je le crois aussi, bien réciproque.
(interview réalisée en février 2022)