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Manuel Rabaté

« Fier de travailler pour l’Emirat d’Abu Dhabi »

Manuel Rabaté : « Fier de travailler pour l’Emirat d’Abu Dhabi » -- Standing International Magazine

Juin 2023 Par Sarra Essouayeni, à Abu Dhabi (EAU)

Le Louvre Abu Dhabi, premier musée universel du monde arabe, a  soufflé sa cinquième bougie au mois de novembre. Rencontre avec  Manuel Rabaté qui dirige avec talent ce phare incontournable du  rayonnement culturel des Emirats arabes unis. 

Le musée du Louvre dans le désert ! Le premier à en avoir rêvé tout haut est le cheikh  Zayed, avant même la création des Emirats arabes unis. Cinquante ans plus tard, le  Louvre Abu Dhabi était inauguré le 8 novembre 2017 ! Lieu déjà unique et emblématique,  édifié par l’architecte Jean Nouvel, le premier Musée universel du monde arabe témoigne  de la curiosité d’esprit des Emiriens. Deux années avant la la signature de l’accord  intergouvernemental entre la France et les EAU, le 6 mars 2007, le cheikh Abdallah ben  Zayed Al Nahyane, ministre émirien de la culture, appelait de ses vœux, « un Louvre  comme au Louvre de Paris, avec des nus, des Christs, des artistes juifs, des miniatures  persanes, tous ces chefs-d’œuvre qui font l’admiration du monde. » Il y aura tous ces  trésors-là au Louvre Abu Dhabi.

Bien sûr, Jacques Chirac, le président français et le cheikh Khalifa ben Zayed Al Nahyane,  le président émirien, étaient les plus fervents défenseurs de la création du musée du  Louvre à Abu Dhabi. Bien sûr, les ministres de la culture et des affaires étrangères qui se  sont succédés dans les gouvernements des deux états ont aussi milité chaudement pour  l’implantation d’un musée universel dans la capitale émirienne. Bien sûr, Jack Lang et  Zaki Nusseibeh, ministre de la Culture et véritables lobbyistes sur la scène culturelle  mondiale, ont usé de toute leur influence pour balayer les réticences et les hésitations.

Mais l’incontestable succès du Louvre Abu Dhabi ne se résume pas à ces personnalités. Il convient de saluer le formidable travail de HE Mohamed Al Mubarak, président du Departement Culture et Tourisme Abu Dhabi (DCT) et Rita Aoun-Abdo, directrice exécutive (DCT). Ces deux grands visionnaires ont misé sur le potentiel touristique d’Abu Dhabi comme place mondiale de la culture. Mohamed Al Mubarak et Rita Aoun-Abdo ont été de véritables moteurs dans l’implantation du Louvre à Abu Dhabi. Ils ont toujours soutenu cette idée inédite et insolite. Surtout, ils ont imaginé, niché sur l’île de Saadiyat, un des plus vastes projets culturels au monde dont le Louvre Abu Dhabi était la première pierre.

Enfin, il serait injuste de ne pas mettre en lumière le talent de Manuel Rabaté, qui dirige le Louvre Abu Dhabi, de main de maître, depuis la première heure. Ce Dijonnais de 45 ans, passionné de sciences humaines, connaît la maison et la mission : il a fait ses armes au Louvre de Paris et il a apporté sa contribution pour l’ouverture du musée du quai Branly – Jacques Chirac, à Paris (2006). Là, sur les bords de Seine, Manuel Rabaté devient directeur adjoint du département culturel et des expositions. Il prend du volume et du galon. Et naturellement, il est rapidement associé au projet du Louvre Abu Dhabi… 

Posée sur l’eau comme une île, l’immense coupole métallique du Louvre Abu Dhabi se détache dans un paysage de carte postale qui fait fureur sur Instagram et dans la carrière de Manuel Rabaté. Rencontre avec un homme qui sait le sens du mot universel et son poids dans un monde où le savoir et la compréhension sont le seul avenir. 

Quel bilan dressez-vous depuis l’inauguration du Louvre Abu Dhabi ? 

Nous avons ouvert deux fois le Louvre Abu Dhabi : lors de son inauguration et après la pandémie de la Covid. La première fois, nous avons connu l’audace et le dynamisme d’une naissance. La seconde fois, nous avons serré les dents en mode résilience. Mais nous sommes toujours restés positifs. Nous avons réussi à maintenir la vision universaliste du Musée. Nous avons continué à développer les prêts, notre collection, les expositions et la recherche. Outre le bilan, il est important d’afficher les perspectives. 

A l’occasion du cinquième anniversaire du Louvre Abu Dhabi, on annonce une des plus importantes expositions impressionnistes jamais organisées en dehors de l’Europe…

Le Louvre Abu Dhabi s’est en effet associé au musée d’Orsay, à Paris, pour présenter une exposition impressionniste exceptionnelle : « L’impressionnisme: la modernité en mouvement ». Du 12 octobre 2022 au 5 février 2023, cette exposition présentera plus de cent cinquante œuvres, mais aussi des gravures, des costumes, des films et des photographies. Ces objets illustreront les raisons pour lesquelles l’impressionnisme a été perçu comme un phénomène radicalement nouveau au XIXe siècle. Les amateurs d’art apprécieront les œuvres d’Édouard Manet, Edgar Degas, Claude Monet, Camille Pissarro, Pierre-Auguste Renoir ou Paul Cézanne. 

Néanmoins, les artistes locaux seront aussi à l’honneur avec la seconde édition du concours d’exposition, intitulé « Louvre Abu Dhabi Art Here », parrainé par Richard Mille…

Cette alchimie entre une ambition internationale et la valorisation de la scène artistique locale est notre signature. L’exposition « Louvre Abu Dhabi Art Here » et le prix Richard Mille sont essentiels. Cet équilibre est notre ADN. Le Louvre Abu Dhabi est capable de créer des événements avec des chefs-d’œuvres absolus en partenariat avec la collection des musées français. Mais il n’oublie pas de mettre en lumière les artistes émiriens. Ainsi lors de la magnifique exposition « Histoires de papiers », nous avons mis à l’honneur trois grands artistes émiriens : Mohamed Kazem, Hassan Sharif et Abdullah Al Saadi, artistes conceptuels originaux, pionniers aux Émirats arabes unis. 

Est-ce que la Covid et la numérisation liée à la pandémie ont modifié la manière d’exploiter un musée ?

Le rapport au Musée a en effet changé. Nous avons misé sur la technologie pour triompher de la Covid sans renier notre qualité ou retrancher nos ambitions. L’accélération de la mutation technologique est un chemin sans retour. Notre empreinte digitale est de plus en plus importante. Le Louvre Abu Dhabi est un lieu où l’on raconte des histoires physiques ou connectées de l’humanité à travers des œuvres d’art. « We are not alone », une expérience sonore et filmique de science-fiction, a rencontré un véritable succès pendant la Covid. Interprété par le chanteur émirati Hussain Al Jassmi en arabe, l’acteur Willem Dafoe en anglais ou l’actrice Charlotte Gainsbourg en français, le parcours invitait à découvrir le Louvre Abu Dhabi au fil de ces voix, pour comprendre l’histoire, son impact et sa signification dans une galaxie post-humaine. Nous travaillons actuellement la version 2 de « We are not alone ». Nous réfléchissons à de nouveaux outils numériques notamment à destination des enfants. Plus que jamais, notre stratégie d’éducation intègre la technologie. 

La Covid a également permis de rapprocher les visiteurs à l’environnement… 

Lors de la réouverture du musée après la pandémie, on a essayé d’utiliser l’énergie positive de notre lieu à l’architecture méditative pour être à l’écoute de nos visiteurs. Ainsi, nous avons organisé des cours de yoga ou des balades en kayak autour du musée. C’était une manière de prendre le temps d’être en communication avec le musée, son architecture, sa lumière.

Le Louvre Abu Dhabi est un concept gagnant-gagnant entre la France et les Emirats arabes unis…

Déjà, il convient de préciser que le Louvre Abu Dhabi n’est pas un musée français. C’est un musée émirien. Personnellement, je suis fier d’être français et je suis fier de travailler pour le Département Culture et Tourisme d’Abu Dhabi (DCT). La moitié de nos collaborateurs sont émiriens. C’est aussi une expérience très enrichissante. Ensuite, il est évident en effet que le Louvre Abu Dhabi ne sert pas les intérêts d’un pays plus que l’autre. C’est une égalité totale, un échange parfait. Cette volonté d’une double influence comme un effet miroir est celle du ministre de la Culture Zaki Nusseibeh, l’un des pères du Louvre Abu Dhabi. Les deux pays ont trouvé un intérêt dans les relations internationales et leurs puissances d’influence. Nous pouvons évidemment parler de soft power. Du côté de la France, le Louvre Abu Dhabi amplifie le rayonnement de la force culturelle française. Du côté des Emirats arabes unis, il prouve qu’Abu Dhabi est la capitale d’un pays connecté au monde, un pays capable d’inviter le monde chez lui, un pays capable de raconter l’histoire universelle du monde, un pays qui est dans l’histoire du monde, un pays capable de porter des valeurs de tolérance et de respect entre toutes les religions. 

Le Louvre Abu Dhabi a-t-il besoin d’œuvres iconiques pour attirer les visiteurs ? 

Premier musée universel du monde arabe ouvert sur la connaissance de la totalité du monde, le Louvre Abu Dhabi déroule 12000 ans d’histoire. Comment être concentré sur une aussi longue période si aucune œuvre ne vous emporte ? A l’évidence, pour raconter cette histoire et comprendre les civilisations, pour évoquer et invoquer les différentes cultures, nous avons besoin d’œuvres fortes pour raconter une histoire forte.

Quelles sont les trois œuvres les plus emblématiques, celles qui vous touchent le plus ?

Mon coup de cœur est la princesse de Bactriane, région à cheval sur les États actuels d’Afghanistan, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan. Vêtue d’une délicate robe de laine, cette statuette est l’une des plus belles au monde. D’une grande majesté, elle représente une divinité majeure de la mythologie centre-asiatique. Je dois avouer que j’ai trois petites filles et que nous allons souvent rendre visite à la petite princesse de Bactriane. Ensuite, je citerai le lion monumental. Exceptionnel par sa taille et sa fonction, il constitue l’une des œuvres médiévales de tradition islamique les plus importantes de l’espace méditerranéen. À la croisée des chemins entre l’Orient et l’Occident, on lui attribue généralement une origine hispano-islamique. Cousin du griffon andalou de Pise, unique statue animalière qui lui soit comparable, son style, associé aux inscriptions arabes, exprime l’attrait et le rôle particulier joué par les arts de l’Islam en Méditerranée à la fin du XIe et au début du XIIe siècle. 

Enfin, j’indiquerai l’œuvre de Mondrian. C’est la pièce Numéro 1 de notre collection. Et c’est plus qu’un symbole. Cette composition de 1922 nous plonge au cœur de l’esthétique radicale du peintre néerlandais reconnu comme l’un des pionniers de l’art abstrait. Il travaille la lumière par simplification. Et il arrive à l’abstraction par la lumière. Son style et ses motifs sonnent presque comme un jeu de miroir avec l’architecture géométrique de Jean Nouvel. Quand on vient de regarder Mondrian et qu’on sort du Musée, une résonance et une magie s’opèrent avec la lumière qui baigne l’architecture.

Et si vous deviez citer une œuvre éphémère…

Un masque funéraire en or des Philippines du Xe siècle est exposé dans la première vitrine dédiée à l’anthropologie. C’est une pièce majeure de l’exposition permanente sur l’or prêtée par le musée ethnographique et archéologique philippin Ayala. Nous sommes fiers d’attirer l’attention des Philippins qui résident aux Emirats arabes unis ou qui profitent de leurs vacances pour y séjourner. Au Louvre Abu Dhabi, chaque visiteur doit trouver écho à son histoire. Voilà notre ambition et notre mission.

Quand elles ne sont pas acquises, les œuvres présentées au Louvre Abu Dhabi sont généralement prêtées par des musées français partenaires…

En parallèle de la collection construire par acquisition, nous avons une politique de prêts très performante avec les musées français partenaires : le musée du Louvre, le musée d’Orsay et de l’Orangerie, le musée du quai Branly, la Bibliothèque nationale de France, le musée des arts asiatiques Guimet, le Château de Versailles, le musée Rodin, le musée de Cluny-Musée du Moyen-Age, le musée des Arts décoratifs, le musée d’archéologie-Saint Germain-en-Laye, le musée des Beaux-Arts de Lyon, le musée des Armées des Invalides ou le Centre Pompidou. En un seul lieu, nous devons réunir l’histoire de l’humanité qui est répartie aux quatre coins de Paris : l’impressionnisme au musée d’Orsay, le 20e siècle au centre Pompidou, les collections royales au Château de Versailles, l’Afrique, l’Océanie et les Amériques au musée du quai Branly ou l’Asie au Musée Guimet. Forcément, nous entretenons également des liens étroits avec les musées des Emirats arabes unis. Nous présentons une collection des sept Emirats pour représenter l’union à notre manière. L’œuvre d’Hassan Sharif présentée lors de l’exposition « Histoires de papiers » avait ainsi été prêtée par Sharjah Art Foundation. 

L'exposition Bollywood Superstars (25 janvier 2023 – 4 juin 2023) a été organisée en collaboration avec le musée du quai Branly, confirmant une nouvelle fois le dynamisme de vos partenariats…

Effectivement, à travers des œuvres importantes du cinéma indien, nous allons raconter la mythologie de l’Inde hindouiste à travers sa trinité divine et celle de l’Inde islamique. Notre ambition est non seulement de séduire la communauté indienne résidente aux Emirats arabes unis mais aussi les Arabes qui consomment Bollywood !

Comment opérez-vous le choix de vos expositions ?

C’est un long cheminement. Nous échangeons beaucoup avec l’Agence France – Muséums (AFM) et les musées français. La programmation culturelle doit faire sens et trouver des points de connexion entre le monde arabe et le monde occidental.

Le Louvre Abu Dhabi est-il un musée d’initiation à l’art ?

Le Louvre Abu Dhabi n’est pas un musée d’initiation à l’art : c’est un lieu pour assouvir sa curiosité de compréhension de l’humanité. 

La dimension incroyable du projet culturel sur l’Île de Saadiyat est une véritable chance pour le Louvre Abu Dhabi…

Nous allons en effet attendre un niveau de taille critique et d’interconnexion phénoménales. On retiendra que c’est le Musée universel du Louvre qui aura montré en premier l’ouverture des Emirats arabes unis et la voie aux autres musées. L’Abrahamic Family House, musée interreligieux dédié aux trois religions monothéistes, pousse déjà derrière nous et répond en écho à nos combats pour l’acceptation de nos différences et la fraternité humaine. Si on ajoute un musée d’art moderne et contemporain, le Musée Guggenheim Abu Dabi et un musée national qui racontera l’histoire des Emirats arabes unis, le Zayed National Muséum, l’offre culturelle sera exceptionnelle.

Les trois livres sacrés des religions monothéistes sont présentés côte à côte. C’est un symbole fort de l’islam des Lumières des Emirats arabes unis.… 

C’est un message de tolérance, d’ouverture, d’équilibre, de respect, de compréhension et surtout d’acceptation. L’acceptation, c’est beaucoup plus fort que la tolérance. Car on peut tolérer des gens qu’on n’aime pas. Le livre sacré est comme un lieu de réceptacle de la beauté du divin. Et ce sont vraiment les points communs entre les religions qui permettent de comprendre les phénomènes religieux. 

L’accord de licence du Louvre Abu Dhabi a été prolongé de dix ans, jusqu’en 2047. Evidemment, vous vous félicitez de cette décision… 

C’est effectivement un signal fort de confiance d’autant que les dix premières années de la licence ont servi à la phase de préparation du projet. C’est un acte qui nous engage et nous invite à réinventer notre relation avec les musées français.