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Nasser Larguet, héros de l’ombre

Nasser Larguet,  héros de l’ombre -- Standing International Magazine

Novembre 2024 Par Jérôme Lamy, à La Roche sur Yon

Directeur de l’Académie Mohammed VI de 2008 à 2014, puis Directeur Technique National de 2014 à 2019, Nasser Larguet a transformé le football marocain dans des proportions qui ont changé son destin pour de nombreuses années. Il a les mêmes ambitions aujourd’hui en Arabie saoudite.

Il ressemble à un professeur avec ses lunettes noires, sa petite voix douce et son sourire aussi rassurant que sa toison blanche. C’est normal, il a travaillé pour le Ministère de l’Éducation Nationale en France. Il a enseigné les sciences au printemps de sa vie. Nasser Larguet, intellectuel et humaniste, est un extraterrestre dans le sport professionnel. Considéré comme un des meilleurs formateurs dans le football mondial, il réussit l’exploit de faire l’unanimité dans un milieu où les couteaux sont aiguisés.

 

Au Maroc, on chante encore ses louanges cinq ans après son départ. Si les Lions de l’Atlas ont ébloui la planète football lors du Mondial au Qatar (20 novembre au 18 décembre 2022), ils lui doivent une fière chandelle. Directeur de l’Académie Mohamme VI de 2008 à 2014, puis Directeur Technique National (DTN) de 2014 à 2019, Nasser Larguet a transformé le football marocain dans des proportions qui ont changé son destin. Au lendemain de la qualification du Maroc pour la Coupe du Monde 2018 e Russie (14 juin au 15 juillet 2018), mettant un point final à une interminable éclipse de 2 ans au plus haut niveau mondial, le sélectionneur Hervé Renard avait déjà lancé, dans un exercice d’humilité non feinte: « ne m’attribuez pas la paternité du renouveau du football marocain : il faut féliciter et remercier Nasser Larguet. Sans lui, rien n’aurait été possible. Et le Royaume profitera de son travail pendant dix ans.. »

 

L’histoire de Nasser Larguet et sa carrière dans le monde impitoyable du football professionnel est d’autant plus incroyable que rien ne le prédestinait à endosser semblable costume. Né à Sidi Slimane en 1958 au nord-ouest du Maroc, à une soixantaine de kilomètres de Kenitra où il traverse une enfance studieuse et heureuse, Nasser passe plus de temps sur les bancs de l’école que sur les terrains de football. Le papa, Belaïd, originaire de Berkane, travaille au Ministère de l’Agriculture. La maman, Zoulikha, fille de Taza, gère le foyer et enveloppe Nasser dans une affection protectri A l’image de sa soeur Latifa ou de son frère Nourredine, il fréquente les missions françaises: Honoré de Balzac à Kenitra pour les petites classes et le bac au Lycée Paul Valéry à Meknès.

 

Avec ses petites lunettes rondes déjà vissées sur le nez, il affiche beaucoup dispositions pour les sciences. Naturellement, il opte pour une faculté de pharmacie au grand bonheur de ses parents. « Lors des inscriptions, j’avais sollicité une fac de pharmacie dans le sud de la France à Nice, Marseille ou Toulouse mais ils n’y avait plus de place » dit-il. Il s’envole pour la Normandie, à Caen, ville du Calvados qu’il ne savait pas situer sur la carte de France. L’atterrissage est difficile. Au bout de deux anné compliquées, il zappe la pharmacie pour une maîtrise de microbiologie et biochimie alimentaire.

 

Le football est loin de son quotidien. «Je n’ai jamais joué dans un club au Maroc » précise-t-il. «J’ai seulement participé à des compétitions scolaires UNSS où j’ai remporté le championnat marocain avec le Lycée Paul Valéry de Meknès.» Nasser est attaquant. A Caen, il retrouve le ballon rond avec les copains de la fac le dimanche matin. Les Marocains affrontaient les Sénégalais ou les Ivoiriens. C’était le bonheur de sa semaine Car la passion du football a toujours sommeillé dans le coeur de cet intellectuel aux qualités humaines rares.

 

Chaque soir, pour rallier la Cité Universitaire Lebisey depuis l’UFR de pharmacie, installée rue Vaubenard près de l'hôpital Clemenceau, Nasser voyage toujours dans le bus numéro 2. A chaque trajet, son regard est happé, comme la limaille docile à l’aimant qui l’attire, par la pelouse rutilante du stade Maurice Fouque, éclairé comme le château de Versailles. « Je rêvais de fouler cette pelouse » confie Nasser. « Au Maroc, j’avais seulement joué su terre battue. »

 

Un jour, il fend l’armure. Tord le cou à une timidité née d’une éducation où le respect est une valeur non négociable. Il rentre dans le stade et aborde la première personne qui croise son chemin. « Comment peut-on jouer ici? » lance-t-il. Le gars, le coach de l’ASPTT Caen, Daniel Guilbert, lui propose de faire un essai la semaine suivante le mardi et le jeudi. Nasser évoluera bien sur la fameuse pelouse de ses rêves mais ne touchera pas le ballon. Le programme est seulement physique. Les diagonales se succèdent seulement égayées par des exercices de renforcement musculaire.

 

Dépité, il hésite à revenir le jeudi. Il finit par se convaincre. Il ne regrettera jamais. Il s fond dans le collectif. A tel point que Daniel Guilbert lui propose de participer le dimanche suivant au match amical de l’équipe C contre Hérouville-Saint-Clair. Nasser fait la pluie et le beau temps. Il marque un but contre son camp mais égalise avec un talent évident. Et signe sa première licence à l’ASPTT Caen où il restera un an et demi.

 

La vie de Nasser Larguet bascule au gré des rencontres qui jalonnent son parcours à nul autre pareil. Après Daniel Guilbert, Zygmund Lysik, entraîneur de l’Union Sportive Normande de Caen, se penche sur son berceau. C’est Papy Lou, un ami ivoirien, qui met les deux hommes en relation. Zygmund Lysik propose à Nasser de rejoindre son club. Le Marocain a peur de partir, de décevoir les copains de l’ASPTT Caen qui lui ont donné sa chance. Il se laisse convaincre. Les conditions ne sont pas les mêmes: il ne paye plus son équipement, touche des primes des matches et obtient un petit job pour financer se études… Il évolue en Division d’Honneur Régional, jauge vraiment son niveau et découvre la vie d’un club structuré. Il découvre aussi la vie à deux et rencontre sa future épouse, Marie-Élise.

 

encadrer les jeunes, son appétence pour la pédagogie et son tropisme pour l’entraînement. Il lui propose de diriger avec lui les minimes du club. Et d’accompagner Pascal Theault pour une série de stages estivaux de vacances à Caen. Lysik le convainc même de passer l’Initiateur, le premier diplôme d’entraîneur, avec le CTR Richard Derumeau. Il réussit l’examen haut la main. Il est major de la promotion. Et préside aux destinées de la sélection du Calvados qui se hissera en finale du tournoi de Pâques. « D toute façon, je n’avais pas assez d’argent pour rentrer au Maroc pour les vacances » confie Nasser

 

Sa disponibilité est un passeport. La même année, il obtient le diplôme du premier degré d’entraîneur. Richard Derumeau le prend également sous son aile et le sollicite pour participer à des journées de détection sur le terrain du collège d’enseignement catholique de Thury-Harcourt. Là, il fait la connaissance de Patrick Casas, un autre ange dans sa vie, président du club de Thury-Harcourt en quête… d’un entraîneur. « En fait, Patrick cherchait un entraîneur-joueur doté d’un diplôme et capable de prendre en mains toutes les équipes du club des poussins aux vétérans » précise Nasser pas franchement emballé à l’idée d’assumer pareille responsabilité, à l’âge de 25 ans. « En plus, je n’avais pas de moyen de locomotion. Je ne possédais pas la nationalité française et je n’avais pas encore obtenu ma licence de biologie » poursuit-il. Patrick Casas règle le premier problème: il prête au jeune marocain la Renault 4L de sa belle mère qui ne sort presque jamais du garage. Il lui propose même de s’acquitter des cotisations d’assurances du véhicule et lui offre un salaire dix fois supérieur à la bourse marocaine

 

Comme preuve d’amour, Nasser pouvait difficilement rêver mieux… Il se laisse séduire signe, en 1986, pour 3 ans à l'Etoile Sportive Thury-Harcourt (ESTH). Nasser fait l’unanimité. Il hisse l’équipe séniors en promotion d’honneur avec une accession au septième tour de la Coupe de France comme une cerise sur le gâteau. Les équipes de jeunes atteignent chaque saison les sommets et s’offrent le luxe de rivaliser avec le meilleures équipes de Normandie. Et comme il dévient enseignant de sciences naturelles, biologie et sport au Collège Privé Notre-Dame de Thury-Harcourt, ses élèves, sous le charme du pédagogue, rejoignent l’ESTH. Et les footballeurs en herbe du club passent de l’enseignement public au privé pour suivre les cours du professeur Larguet !

 

Présent au centenaire du club en 2001, Nasser n’a jamais oublié l'Etoile Sportive de Thury-Harcourt. « Nasser a toujours été d’une fidélité extraordinaire avec moi, ma famill et le club » confie Patrick Casas. « Nous partageons une estime réciproque. Nous avon passé trois années uniques avec Nasser. Il a structuré le club comme personne ne l’avait fait avant lui. Après son départ, il a organisé une rencontre amicale avec le Stade Malherbe de Jean-François Domergue et invité Daniel Jeandupeux. Nasser est inoubliable à Thury-Harcourt, sachez-le. Il est dans nos cœurs.» Nous n’en doutions pas…

 

Et Patrick Casas de poursuivre: « Nasser est un homme droit, remarquable. Il est très diplomate. Je ne l’ai jamais vu s’énerver. Il n’est pas caractériel pour un sou. Il sait s’affirmer dans la sagesse sans montrer les dents. Surtout, c’est un éducateur né avec l jeunes. Il sait leur parler, les mettre en confiance. Il cherche à former des hommes avan de construire des sportifs. Il met toujours au même niveau l’enseignement scolaire et l’enseignement technique du foot. L’équipe séniors était louée pour la qualité de son football et les équipes de jeunes battaient tous les grands clubs de la région. Nasser s’est fait remarquer à Thury-Harcourt par les grands du football. Modestement, j’aurai joué un rôle dans sa grande carrière. J’en suis fier.

 

En 1989, Nasser change de monde. Il est contacté par le FC Rouen qui évoluait en D2. C’est un copain de la fac, Pascal Boisroux, directeur administratif du club, qui joue les entremetteurs. Le coach rouennais, Arnaud Dos Santos, est en quête d’un adjoint capable de naviguer entre toutes les équipes du club. Un rôle sur mesure pour Nasser. « Lors de notre premier entretien, les dirigeants de Rouen me parlaient de l’organisation du club » se souvient Nasser. « C’était irréel. Je les ai coupés dans leur élan pour les sensibiliser sur ma méconnaissance du monde professionnel. » A l’évidence, ça ne les a pas inquiétés. Et comme Michel Durand, le directeur du Collège Privé Notre-Dame de Thury-Harcourt, lui a donné son feu vert, Nasser Larguet a sauté dans le grand bain. Dire qu’il ne s’est pas noyé est un euphémisme. Il a nagé comme un poisson dans l’eau du football professionnel.

 

Adjoint de Daniel Zorzetto dans un premier temps, Nasser Larguet hérite très vite de la direction du centre de formation du FC Rouen où il croise Franck Haise, l’actuel entraîneur à succès de l’OGC Nice, qui était jeune capitaine du FC Rouen. Nasser reste six ans sur les bords de Seine où il passe son BE2. Avec son épouse Marie-Élise, leurs deux adorables jeunes filles, Aurélie et Kenza, Nasser est un père heureux. Il conjugue l bonheur à tous les temps. Si le ciel est au grand bleu dans la vie privée de Nasser, il est gris souris sur les finances du FC Rouen qui dépose le bilan lors de l’été 1995

 

Nasser est disposé à retrousser les manches pour redonner son lustre d’antan au FC Rouen. Le monde amateur, il connaît ! Mais à sa surprise générale, il est courtisé par les plus grands clubs français. Son téléphone sonne sans discontinuer. Patrick Rampillon (Rennes) et Guy Lacombe (Cannes) le courtisent avec le plus de force et de passion. Nasser prend la direction de la Côte d’Azur et de l’AS Cannes.

 

Nasser Larguet change de planète au contact de Guy Lacombe qui a dirigé, entre 1990 et 1995, plusieurs futures stars du football français au centre de formation du club azuréen: Zinédine Zidane, Patrick Vieira, Johan Micoud ou un certain… Hervé Renard. Avant d’enfiler le costume d’entraîneur de l’AS Cannes, Lacombe a seulement quelque semaines pour passer le flambeau à Larguet

 

Le Marocain sait le poids de l’héritage et la taille du défi qui l’attend à la tête du centre d formation. Il relève une nouvelle fois le défi avec les honneurs et force le respect de tous Sous les mandats de Nasser, l’AS Cannes brille dans le championnat national U 15 et U17 dans le sillage de Luccin, Zebina et Frey. Les présidents de l’AS Cannes, Francis Borelli et Joachim Balicco, ont peur de perdre la perle rare : il prolonge Nasser de six ans. Mais Larguet est un homme de cœur à la loyauté affichée. Le licenciement de G Lacombe, en automne 1997, signe la fin de son aventure cannoise. Il rompt son contrat un an plus tard.

 

Le Stade Malherbe de Caen saute sur l’opportunité et offre à Nasser la direction de so centre de formation. L’occasion est idoine de retrouver la Normandie, Marie-Élise et la petite Kenza qui fait désormais le bonheur de la famille. Larguet se rapproche aussi de Pascal Theault, un homme de confiance, qui dirige l’équipe professionnelle. Dans l Calvados, Nasser ajoute une corde à son arc et dirige pendant trois ans l’équipe réserve où Benoît Costil - repéré par Nasser à l’âge de 13 ans -, Mathieu Bodmer et Bernard Mendy font leur armes.

 

C’est un quiproquo avec Guy Chambily qui signera la fin du bail caennais. Et le débu d’une belle histoire avec le Havre AC (2000-2005) et son président emblématique Jean-Pierre Louvel. Au bord de la Manche, Jean-François Domergue, manager du groupe professionnel et Luc Bruder, directeur du centre de formation, misent sur Nasser Larguet nommé entraîneur de la réserve professionnelle et du groupe élite jeune (17-20 ans). Là, Nasser participe à la progression de futurs joueurs de haut niveau comme Steve Mandanda, Lassana Diarra, Guillaume Hoareau, Florent Simana-Pongolle, Anthony Le Tallec ou Didier Digard.

 

Au Havre, on lui tresse encore des lauriers. Peut-on parler d’une méthode Nasser Larguet? « Ma seule méthode est la bienveillance » coupe Nasser. « J’aime bien écouter les gens. Je place l’humain au-dessus de tout. Je crois à la démocratie participative et au management dans la coopération. » Une recette qui fera encore mouche à Strasbourg où il mutera après la riche expérience havraise. En Alsace, il aura la lourde tâche de succéder à Freddy Zix à la tête du centre de formation, un personnage emblématique du RC Strasbourg. En parfaite harmonie avec le manager général Marc Keller, Nasser Larguet mène une politique de formation très efficace. Le RC Strasbourg verra éclore d joueurs comme Kevin Gameiro, Habib Bellaïd, Morgan Schneiderlin, Jean-Alain Fanchone ou Ricardo Faty… En 2006, cette politique est directement récompensée par la victoire en Coupe Gambardella face à l’Olympique lyonnais, un an après le triomphe de Strasbourg en Coupe de la Ligue. « Une période fabuleuse » confie Nasser Larguet don la solide réputation dépasse désormais les frontières françaises.

 

Elle franchit la Méditerranée. Le Maroc, son pays d’origine, ne fait pas exception. La Fédération Royale Maroc de Football (FRMF) le sollicite en 2006 et lui envoie un contrat de cinq ans à parapher pour prendre en charge la Direction technique du nationale du Royaume. Il se déplace à Rabat pour acter la collaboration. Mais reste bloqué devant la porte de la Fédération. Les téléphones de ses interlocuteurs sont branchés sur leurs répondeurs. « A l’évidence, ils avaient changé d’avis » dit Nasser. « En terme d’élégance, on peut faire mieux. J’aurais pu les attaquer mais je n’ai jamais été procédurier. » La pilule passe d’autant mieux qu’il lui reste un an de contrat à Strasbourg où les dirigeants se félicitent de la conclusion des événements…

 

Quand il reçoit un mail du cabinet royal marocain en 2007, Nasser Larguet, échaudé par l’épisode du rendez-vous raté dans la capitale chérifienne, pense être victime d’un blague douteuse. Il ne donne pas suite. « Je me suis demandé pourquoi le Palais Royal s’intéresserait à moi ? » confie Nasser qui finit pas répondre au mail. Mounir Maji directeur du secrétariat particulier de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, souhaite le rencontrer «en urgence.» Il s’empresse de savoir s’il aura une relation contractuelle avec la Fédération ou avec un club. « Si c’était le cas, je n’aurais pas fait le déplacement » avoue Nasser. « Le projet de la création d’une Académie de football était celui de Sa Majesté et je n’aurai de lien qu’avec son secrétariat particulier. »

 

Débuté en 2007 - et inauguré le 28 mars 2010 par le Souverain -, le projet de l’Académie Mohammed VI de football est le défi d’une vie pour Nasser Larguet. « C’était so fantasme de jeunesse » confirme Patrick Casas. « Dès son arrivée à Thury-Harcourt, i m’avait confié cette ambition. » Nasser Larguet vit un rêve éveillé. « J’ai pu mettre tout mon expérience acquise en France au service de mon pays dans une structure qui n’existait pas » dit Nasser. « Le terrain était vierge. Avec Mounir Majidi, qui est une personne aux qualités humaines et professionnelles inestimables, nous sommes partis d’une page blanche pour écrire l’histoire de cette Académie. J’ai transmis un cahier des charges sur le modèle des meilleurs centres de formation internationaux et notamment français. Celui-ci a été très bien compris et conçu par Mohcine Benyacoub, très bien relayé par les architectes Tijani Omar et Amine Scandar, ainsi que la paysagiste Mounia Bennani. Mounir Majidi m’a laissé le choix de prendre mes fonctions après les travaux ou démarrer ma mission dès le premier coup de pelle. La question ne se posait pas. Il n’y avait pas une seconde à perdre. J’ai suivi le chantier avec Mohcine Benyacoub et travaillé l’organisation de l’Académie avec M'Hamed Zeghari, un dirigeant historique du FUS Rabat. Surtout, je voulais profiter des deux années de construction pour faire de l détection dans tout le Maroc. »

 

Nasser Larguet a pris son sac de voyage et sa chaise de camping pliable. Il a parcouru le Maroc de Tanger à Tan Tan et de Marrakech à Oujda. « Du lundi au jeudi, je suivais le chantier et du vendredi au dimanche, je prenais la route » précise Nasser Larguet. « En fait, j’ai découvert mon pays. Je n’étais jamais allé au-delà de Casablanca ! C’est une expérience incroyable et mémorable. Je ne suis pas seulement allé dans les clubs. Je m’arrêtais au bord des routes, des plages dès que je voyais des enfants taper dans le ballon. Personne n’avait été informé de ce projet. J’ai donc pu travailler dans des conditions idéales. »

 

En deux ans, il observe près de 15000 enfants. Il en sélectionnera 57 astreints à des tests médicaux tous les trimestres. « Certains enfants n’étaient jamais allés dans un hôpital ou chez un dentiste » confie Nasser qui a choisi des jeunes joueurs sans pathologi médicale ni retard scolaire. « C’était essentiel de se concentrer sur des enfants qui avaient également des aptitudes scolaires » dit Nasser. « Ils étaient soumis à un double objectif : études et football. »

 

Sur 57 jeunes, 47 vivent aujourd’hui du football et alimentent largement les différente équipes nationales marocaines et notamment les Lions de l’Atlas. Youssef En-Nesyri, qui a marqué à Doha en quarts de finale de la dernière Coupe du monde, face au Portugal d Cristiano Ronaldo, le but le plus important de l’histoire du football marocain, a été repéré par Nasser Larguet lors de la Danone Cup à Fès. Ce jour-là, Reda Tagnaouti a aussi tapé dans l’œil de Nasser. Les deux jeunes espoirs rejoindront ensemble l’Académie Mohammed VI. C’est lors d’un banal tournoi à Kenitra que Larguet a été séduit par Nayef Aguerd. Et Azzedine Ounahi a ébloui le Directeur de l’Académie Mohammed VI lors d’un match improvisé dans un quartier de Casablanca. « C’était un dribbleur né » confi Nasser. « Il possédait une technique et une malice assez incroyables pour son âge. » Il ne faut pas oublier Hamza Mendyl, acteur du Mondial 2018 en Russie, passé par le tamis de l’Académie.

 

Quand il démissionne en 2014, une fois sa mission largement accomplie, Nasser envisage un retour, chez lui, à Caen. C’est sans compter sur le président de la FRMF Fouzi Lejkaa qui lui propose d’endosser le costume de Directeur Technique National. Nasser Larguet n’est pas enthousiaste. « Ce n’était pas mon métier » explique-t-il. « J’avais également entamé des discussions pour retrouver le Stade Malherbe de Caen. Et surtout, JeanPierre Morlans, déjà employé de la fédération marocaine, avait toutes les capacités pour le poste. » Fouzi Lejkaa insiste. Il n’en démord pas. Et trouve la formule idoine. A JeanPierre Morlans la formation des cadres techniques. A Nasser Larguet, la Direction technique nationale.

 

Une nouvelle fois, le Président Lejkaa fait le bon choix. Larguet change tout de la soute au plafond. Il reprend toutes les licences d’entraîneur et crée la première licence de la CAF (Confédération Africaine de football) PRO, qui équivaut à la plus haute qualificatio d’entraîneur dans le monde. « Entre 2014 et 2018, j’ai eu carte blanche, un vrai régal » dit celui qui a aussi œuvré pour le développement du football féminin avec David Ducci et Philippe Dence. « Il ne faut pas oublier de saluer le travail formidable réalisé par les entraîneurs locaux Laïla, Lamia, Mustapha, Karim et Saleh » précise Nasser.

 

Au niveau sportif, le Royaume mange son pain noir. Depuis le Mondial 98 en France, il ne s’est plus qualifié pour le plus grand événement planétaire. Depuis plus dix ans, il n’a pa franchi le premier tour de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN). Le premier chantier est la succession de Badou Zaki aux commandes des Lions de l’Atlas. En quête d’un nouveau sélectionneur, Lejkaa met Larguet sur la piste d’Hervé Renard. Les deux hommes, qui se sont connus à Cannes, se rencontrent à Lyon. L’homme à la chemise blanche, qui vient d’écrire les grandes heures de la Zambie et de la Côte d’Ivoire, est sceptique. « Il ne comprenait pas pourquoi avec autant de moyens, le Maroc avait aussi peu de résultats » précise Nasser Larguet.

 

Le DTN rentre à Rabat sans l’accord d’Hervé Renard mais avec quelques autres profil d’entraîneurs français dans ses valises. Lejkaa ne démord pas. Il ne désire pas envisager une solution de repli. Il n’a pas l’intention de renoncer à Hervé Renard. Il enjoint à Nasser Larguet et Mustapha Hadji, gloire du football marocain, de prendre le premier avion pour Saly au Sénégal où Hervé Renard réside avec sa famille. Une telle preuve d’amour et de désir ne laisse pas Hervé Renard insensible. « Notre déplacement au Sénégal, en présence de Mustapha Hadi, a été décisif » confie Nasser. « Hervé a vraiment basculé ce moment-là. Il a besoin d’amour et d’affection. De l’extérieur, on ne peut pa soupçonner sa sensibilité. Il a un cœur infini. C’est un homme exceptionnel. Avec lui chaque jour est un nouveau jour. Et ce jour est le théâtre d’un nouveau challenge. Jamais, il n’est rassasié. Il a toujours faim. »

 

Une faim de Lions récompensée par le festin du Mondial en Russie. « Notre qualificatio obtenue lors de la dernière journée des qualifications en Côte d’Ivoire est encore dan toutes les mémoires comme notre retour après le match dans notre camp de base, à Skhirat » avoue Nasser Larguet. « Avec le recul, nous sommes peut-être passés à côté d’un exploit en Russie. La VAR était contre notre football, à l’image du corner décisif espagnol tiré du mauvais côté. Mais Hervé Renard a laissé derrière lui un patrimoine de dix ans. En Russie, Hakimi (19 ans), En-Nesiry (19 ans) et Zyech (22 ans) étaient encore de jeunes espoirs encadrés par des monstres sacrés comme Benatia, Nordine Amrabat, Boussoufa, Belhanda ou Dirar. »

 

La dernière année de contrat de Nasser Larguet s’écrit entre gris clair et gris foncé. Elle est même amputée de quelques mois sans que cet homme à la probité unique ne trouve d’explications ou un prétexte à polémiquer. « Franchement, je n’ai pas d’ego » avoue-t-il. « Je ne cherche aucun remerciement pour services rendus. La reconnaissance, je l’ai quand on me choisit, quand on me confie une responsabilité. Je suis payé pour ça. J n’attends rien d’autre. J’ai été choisi par sa Majesté le Roi Mohammed VI et par le directeur de son secrétariat particulier, Mounir Majidi. Voilà ma fierté. J’ai monté un structure. J’ai trouvé des jeunes qui ont brillé au Qatar. Mais j’ai été payé pour cela. Je n’ai aucun ressentiment contre Fouzi Lejkaa. Au contraire, j’ai eu la chance de travailler avec lui. Quand il donne sa confiance, il la donne vraiment. C’est un homme trè intelligent et très compétent. Il ne fait aucun sentiment. Et il sait où aller chercher les financements, avec qui nouer des partenariats. Il a compris rapidement que san infrastructures, rien n’est possible. Il ne s’est jamais comporté comme un politique mais comme un vrai technicien. Il est seulement parfois victime des gens qui l’entourent et de leurs conseils. Par exemple, le choix de Vahid Halilhodzic pour succéder à Hervé Renard était totalement incompréhensible. Vahid est un bon sélectionneur mais ce n’était le bon endroit pour lui. »

 

Nasser Larguet n’attendra pas longtemps pour entrer à nouveau dans la lumière, avec une exposition jamais atteinte dans sa carrière. Après le magnifique épisode marocain, i bascule vers un club mythique, l’Olympique de Marseille. Contacté par Rennes et Nice, Nasser se laisse séduire par le Président Jacques-Henri Eyraud et le Directeur sportif Andoni Zubizarreta. Il accepte la direction du centre de formation du club phocéen. « Quel club hors norme ! » s’enflamme Nasser. « J’ai vécu des moments inoubliables. J’a notamment réussi à tisser des liens très forts avec les clubs régionaux dans le domaine de la formation. »

 

Le 2 février 2021, à la suite de la mise à pied d'André Villas-Boas en conflit avec l nouveau Président Pablo Longoria, Larguet est même nommé entraîneur par intérim de l'Olympique de Marseille. Le lendemain, il dirige son premier match en professionnel lors du déplacement de Marseille à Lens en Ligue 1. Les Phocéens obtiennent un nul (2-2), après avoir mené 0-2 à la mi-temps. Pour son deuxième match, son premier au Stade Vélodrome, l’OM reçoit le Paris Saint-Germain pour Le Classico. Mais l’OM pose un genou à terre (0-2). Il remporte son premier match le 10 février suivant lors des 1/32e de finale de la Coupe de France contre l'AJ Auxerre (0-2). « A la demande de Longoria, j’a accepté de rendre service » explique Nasser. « J’ai sans doute été inconscient mais je ne regrette rien. Le contexte était incroyablement tendu. Le Président et les joueurs étaient menacés en permanence. La Commanderie, le centre d’entraînement de l’OM a même été envahi. Je suis revenu aux fondamentaux. J’ai dit aux joueurs que j’étais certes novice comme entraîneur d’une équipe professionnelle mais que je n’étais pas novice dans le monde du football et dans la connaissance de leur carrière. »

 

Après deux mois sur le banc olympien, Nasser Larguet est remplacé par l'Argentin Jorge Sampaoli, lequel reste cependant en quarantaine à cause de la Covid-19. Larguet dirige ainsi les Marseillais deux dernières fois en L1 face à Lyon et Lille. Quand il cède son fauteuil à Sampaoli, l’OM pointe à la 6e place. « Sampaoli voulait que je poursuive ma mission pendant deux matches » confie Nasser; « J’ai refusé. Je ne pouvais pas dire au joueurs à chaque fois que c’était mon dernier match et les diriger encore le match d’après. J’ai dit à Sampaoli que l’équipe était prête. Qu’il devait la prendre en main au plus vite. Je n’ai pas fait de miracles mais j’ai apaisé les esprits. J’ai ramené le calme dans un groupe en pleine tempête. Les joueurs, les supporters me remercient encore aujourd’hui. Ça fait chaud au cœur. »

 

Moins d'un mois après sa démission de l’OM, Nasser Larguet est nommé directeur technique national de l’Arabie Saoudite où il retrouve… Hervé Renard. C’est donc dans le staff saoudien qu’il vivra le parcours historique du Maroc lors du mondial au Qatar. O l’imagine écartelé entre satisfaction et frustration. Il coupe. « Je n’ai ressenti aucune frustration ou autre déception de ne pas faire partie de cette aventure exceptionnelle » confie-t-il. « J’ai seulement ressenti une immense fierté comme Marocain et comme acteur ayant apporté ma pierre à l’édifice. Mon seul regret est le forfait d’Amine Harit qu est le meilleur pour casser les lignes et l’avalanche de blessures en défense. J’aurais aimé voir le Maroc au complet contre la France en demie-finale… En tout cas, les joueur marocains évoluent dans les plus grands clubs. Ce n’est donc pas le fruit du hasard. Walid Regragui était la bonne personne au bon moment. Il possède la qualité d’être binational et d’avoir porté le maillot de l’équipe nationale. Il sait comment parler aux joueurs bi-nationaux, comment les toucher. Quand on choisit un entraîneur marocain pour diriger les Lions de l’Atlas, il doit impérativement avoir voyagé, travaillé en Europe. »

 

Nasser Larguet n’a jamais douté du manque d’expérience internationale de Walid Regragui. « Ce n’est pas l’expérience qui est importante, c’est l’expertise » précise Nasser. « L’expérience se construit avec le temps, l’expertise avec les palmarès. Mais si tu commences mal ta carrière, tu la finiras mal. Et Walid avait obtenu très rapidement de résultats prestigieux avec Le FUS Rabat et le Wydad Casablanca. » Walid Regragui ne brillait pas seulement par son appétence au succès mais aussi par sa manière d’attirer la lumière. « Il a un véritable charisme, il a de l’aura et du charme » s’emporte Nasser. « Il a aussi un sens inné de la communication. Lors d’une session de travail pour la licence ProCaf, nous avions programmé des séances avec le journaliste de Canal + Philippe Doucet afin de pousser les entraîneurs dans leurs retranchements. Celui qui a pass l’épreuve avec le plus de facilité, c’est Walid. Néanmoins, le plus dur commence pour Regragui et les Lions de l’Atlas. Lors de dernière Coupe d’Afrique des Nations, en Côte d’Ivoire, ils ont été l’équipe à battre. Ce sera aussi le cas lors de la porchaine CAN organisée au Maroc. En Afrique, il n’y a plus de petites équipes. Tous les cadres font de la formation. Tout le monde travaille. Dans toutes les équipes, il y a des bi-nationaux qui apportent leur talent. Pour le Maroc, la CAN est plus compliquée que la Coupe du Monde. Les Marocains ont plus de difficultés à répondre au défi athlétique des équ africaines qu’au défi technique des équipes européennes

 

Pas certain que les supporters marocains entendent ce genre d’arguments, eux qui ont désormais des attentes énormes. «Si on pense qu’on est les rois du monde, on peut déchanter» dit Nasser. «Chaque équipe a une durée de vie limitée, celle qui était au Mondial au Qatar en 2022 autant que celle qui était en Russie en 2018. Le secret, c’est la capacité du staff et des joueurs à se remettre en question et oublier le passé. Voilà le exigences du très haut niveau»

 

Nasser Larguet n’insulte pas l’avenir. Il ne dit pas qu’il ne travaillera plus jamais au Maroc. « En général, je ne retourne jamais où je suis passé » précise-t-il. « Mais les seuls endroits où je pourrais me laisser tenter, c’est le Maroc et Caen. Au Maroc, j’ai vécu ma plus belle réussite professionnelle. C’est un résumé de toute ma carrière. J’ai appliqué tout mon vécu en France. Je n’oublierai jamais que c’est la France qui m’a donné ma chance. Et ce que j’ai appris en France, je ne l’aurais jamais appris au Maroc… »

Aujourd’hui, Nasser Larguet n’est ni en France, ni au Maroc. Il est en Arabie Saoudite où il fait déjà l’unanimité.