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Zaki Nusseibeh

«Le cheikh Zayed parlait avec son cœur»

Zaki Nusseibeh : «Le cheikh Zayed parlait avec son cœur» -- Standing International Magazine

Juin 2023 Par Sarra Essouayeni et Jérôme Lamy, à Al Aïn (UAE)

Proche collaborateur du cheikh Zayed, Zaki Nusseibeh est témoin et  acteur, depuis plus de cinquante ans, du formidable développement des  Emirats arabes unis. Celui qui a consacré sa vie à la diplomatie  culturelle d’Abu Dhabi et à son rayonnement artistique est devenu cet  été le premier membre originaire de la région du Golfe Arabique élu à  l’Académie des Sciences Morales et Politiques de l’Institut de France.  Un message historique et une reconnaissance méritée.

Témoin et acteur, depuis plus de cinquante ans, de la formidable croissance  des Emirats arabes unis, Zaki Nusseibeh a consacré sa vie à la diplomatie  culturelle d’Abu Dhabi et à son rayonnement artistique. Il est devenu le  premier membre originaire de la région du Golfe Arabique élu à l’Académie  des Sciences Morales et Politiques de l’Institut de France. Une  reconnaissance qui méritait la couverture de la seconde édition de Standing,  premier média international entre les Emirats arabes unis et la France.

Il dit souvent qu’il a eu la bonne fortune de croiser le cheikh Zayed sur sa route. L’inverse  est aussi juste. Les Emirats arabes unis et son père fondateur ont aussi eu une chance  infinie de croiser Zaki Nusseibeh sur le chemin de leur incroyable destin. Celui qui fut le  traducteur, le conseiller et l’ami du premier président des Emirats arabes unis a consacré  cinquante-cinq ans au développement et au rayonnement d’un état qui lui a ouvert les  bras et offert sa nationalité.

Zaki Nusseibeh a grandi dans les beaux quartiers de Jérusalem au cœur d’une famille aimante où les diplomates et les dignitaires religieux – c’est toujours un Nusseibeh qui tient les clés du Saint-Sépulcre, le lieu de la crucifixion de Jésus-Christ – voisine avec les politiciens. Il est né dans la ville sainte entre toutes pour les trois religions monothéistes. Et ce cosmopolitisme a été le fil rouge d’une vie qu’il consacrera à la tolérance, la bienveillance et la coexistence. 

Anwar, le patriarche, représente une figure emblématique de la communauté palestinienne. Mutilé de guerre, il force le respect et l’admiration de son fils à qui il transmet la passion de la littérature et lui permet de prendre langue avec les grands du monde. Et s’il fut Ministre du Roi Hussein de Jordanie, c’est en sa qualité d’ambassadeur de Jordanie à Londres qu’il présentera le Cheikh Zayed à son fils Zaki en 1966 Le jeune Nusseibeh, fraîchement diplômé du mythique collège de Rugby dans le Warwickshire et du Queen’s College de Cambridge, tombe sous le charme du magnétisme du Sage des arabes, ainsi qu’on le surnomme. Rien d’étonnant : le cheikh Zayed attire la lumière sans la chercher. Cet homme du désert parle avec son cœur. Il est convivial et loyal, généreux et respectueux. A l’image des grands nomades, il possède, chevillé au corps, un souci permanent de l’humilité et une passion dévorante pour l’humanité.

C’est ce goût des autres, en partage, cette addiction pour le bien commun qui les réunit. Ils se retrouveront un an plus tard à Abu Dhabi où le fondateur des EAU est devenu Gouverner de l’Emirat Abou Dhabi, avant l’établissement de la Fédération. Le rendez vous a lieu au Qasr Al Hosn, le fort ancestral de la famille Al Nahyyan. Devenu par la suite Directeur de l’information et traducteur du boss, Zaki Nusseibeh rencontre les rois, les reines et les Présidents de la planète. A tout juste 22 ans, il participe à Londres à l’entretien entre le cheikh Zayed et la reine Elisabeth II…

C’est également à Al Aïn, ville paisible dans l’oasis nichée à l’est de l’émirat d’Abu Dabi, à la frontière du sultanat d’Oman, que Zaki Nusseibeh nous a merveilleusement accueillis, à son domicile, pour notre entretien, quelques jours après son élection à l’Académie des Sciences Morales et Politiques sous la prestigieuse coupole de l’Institut de France. Sa maison, don du cheikh Zayed, est une bibliothèque et un musée. « Où est la maison ? » a d’ailleurs lancé le Sheikh Abdallah Bin Zayed, Ministre des Affaires étrangères et de la coopération Internationale, lors d’une de ses dernières visites à Al Aïn.

La bibliothèque, qui compte plus de 50000 ouvrages, est comme les Emirats arabes unis : en croissance permanente. Les murs, véritable ode à l’art moderne et contemporain, sont un voyage en Asie centrale, en Iran ou au Moyen-Orient. Cette maison à nulle autre pareille, située dans le quartier résidentiel Al Markhaniyyah, renferme aussi de magnifiques œuvres d’art et une collection unique de CD de musique classique, notamment l’opéra et son maître Wagner. On comprend pourquoi Zaki Nusseibeh préside la section émirienne de l’International Friends of Richard Wagner Society après avoir dirigé la Fondation Richard Wagner de Leipzig (2014 – 2018). 

Quand il ne s’occupe pas de son esprit, Zaki Nusseibeh prend soin de son corps et de son physique digne d’un étudiant de Cambridge. A 76 ans, il s’astreint à une heure de marche quotidienne et soigne son alimentation. « Je ne suis pas très gourmet » convient il. Il est une autre gymnastique qui signe la différence de l’administrateur de l’Institut du Monde arabe. Au hasard, il pioche chaque jour dans ses poèmes et jongle d’une langue à l’autre. D’un plaisir à l’autre. D’un pays à l’autre. Il lit et parle avec semblable esprit et pareille finesse l’anglais, le français, l’allemand, l’italien, l’espagnol, le russe et bien sur l’arabe. « Être polyglotte m’a toujours aidé à comprendre mes interlocuteurs, à me rapprocher d’eux, à instaurer un climat de confiance saine » confie Zaki Nusseibeh. Les successeurs du cheikh Zayed ont également accordé leur confiance à Zaki Nusseibeh qui n’a jamais cessé d’avoir l’oreille des dirigeants des Emirats arabes unis. Le regretté cheikh Khalifa ben Zayed Al Nahyane et le nouveau Président cheikh Mohammed ben Zayed Al Nahyane ont toujours loué et salué sa vision, son intelligence et sa fidélité. 

Ainsi, Zaki Nusseibeh a été nommé en 2017 Ministre d’Etat en charge de la diplomatie culturelle. C’est le meilleur second rôle de sa vie. Son premier rôle, le combat de sa vie, c’est incontestablement la protection et la diffusion de l’héritage du cheikh Zayed. « Je continuerai jusqu’au crépuscule de ma vie à mettre en lumière les traces spirituelles et intellectuelles semées par le cheikh Zayed » confie Zaki Nusseibeh. « Et j’invite mes enfants à endosser ce costume… » Avec ses trois enfants, Lana, Diyala et Anwar, Zaki Nusseibeh peut dormir sur ses deux oreilles. Et profiter des trésors de sa bibliothèque XXL. Lana, représentante des Emirats arabes unis à l’ONU, Dyala, directrice Abu Dhabi Art et Anwar, associé dans le fond d’investissement Mubadala ont le talent et l’humanité pour assumer le poids historique du cheikh Zayed et le poids moral de leur papa, qui a réussi l’exploit d’être à la fois témoin et acteur de la mutation des Emirats arabes unis. 

Au cours d’une magnifique cérémonie, à l’Institut de France, à Paris, vous avez été installé à l’Académie Française des Sciences Morales et Politiques. Que représente cette reconnaissance de la France ?

Je suis humblement touché par l’honneur et la responsabilité qui me sont conférés. Mais je suis également très fier d’être le premier membre issu des Émirats arabes unis à l’Académie. J’ai eu l’honneur de servir ce pays pendant la majeure partie de ma carrière, en tant que citoyen d’adoption. Il s’agit d’un événement véritablement capital dans la trajectoire de ma vie personnelle. Mon élection met en lumière les valeurs, les aspirations et la capacité des Émirats arabes unis, ainsi que des personnes inspirantes que j’y ai rencontrées. C’est avec beaucoup d’humilité et un respect mêlé d’admiration que j’ai le privilège d’assumer la place de mon éminent prédécesseur, le professeur Jean Starobinski. Je suis honoré de faire mon entrée à l’Académie des Sciences morales et politiques aux côtés de grandes icônes du monde culturel français. Je suis d’autant plus fier que cette Académie, présidé par Rémi Brague, possède un poids considérable non seulement en France mais aussi dans le Monde.

On vous a senti très ému au moment de votre intronisation… 

Plein de sentiments et de souvenirs se se sont mélangés. J’ai eu la chance de m’être trouvé au cœur du parcours des Émirats arabes unis. C’est un pays imprégné par le caractère humaniste de ses dirigeants et de leurs pratiques. C’est à ce pays, pour lui rendre hommage, que je défère mon élection à l’Académie. Et à son fondateur, le cheikh Zayed pour lequel j’ai eu une pensée émue lors de la cérémonie. Le cheikh Zayed était un immense humaniste à l’image du secrétaire perpétuel de l’Académie, Jean-Robert Pitte. Je me suis aussi souvenu de la première visite d’Etat du cheikh Zayed en France, en 1975, répondant à l’invitation du Président Valéry Giscard d’Estaing. C’était non seulement le début de la relation très intime entre la France et les Emirats arabes unis mais aussi de mon lien professionnel et personnel avec le cheikh Zayed. 

Cette distinction couronne la passion de toute votre vie pour la francophonie. Dans le cadre de mon rôle exécutif au sein des autorités chargées de la culture, du patrimoine et du tourisme à Abu Dhabi, j’ai cherché à développer une relation mutuellement bénéfique entre les Émirats arabes unis et la francophonie. Les relations étroites entre les Émirats arabes unis et la grande francophonie sont fondées sur des considérations mutuelles sur le plan des stratégies économiques, politiques et de sécurité. Plus important encore, elles reconnaissent des valeurs et des idéaux communs. 

Est-ce que c’est votre père Anwar, diplomate, qui nous a donné l’amour des langues étrangères ?

Déjà, j’ai grandi à Jérusalem qui est une ville cosmopolite avec toutes les cultures et les langues du monde. Ensuite, bien sûr, mon père diplomate recevait de nombreuses personnes étrangères à la maison. Et nous voyagions très régulièrement. Ce qui était une chance extraordinaire. Tant et si bien que j’ai reçu une éducation et une formation libérale, ouverte, multiculturelle au cours d’une enfance que je qualifie d’heureuse. 

Quels étaient vos rêves lors de vos jeunes années à Jerusalem ?

Je me projetais soit comme avocat, soit comme diplomate. Mais je ne savais pas que ce destin allait se réaliser aux Emirats arabes unis. 

Avez-vous un souvenir de vos premiers pas à Abu Dhabi ? 

Durant l’été 1964, j’ai passé des vacances avec ma soeur au Koweït. Elle m’a proposé de visiter Abu Dhabi où notre famille possédait une société de construction. Abu Dhabi était un tout petit village, un émirat qui cherchait à se développer.

Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec le cheikh Zayed? 

J’étais étudiant en Angleterre, à Cambridge. Et mon père était ambassadeur de Jordanie à Londres. Il était proche du cheikh Zayed et de la famille royale d’Abu Dhabi. Nous avons reçu le cheikh Zayed à l’Ambassade dans le cadre d’un dîner. Je ne savais pas que mon destin allait être lié à cet homme qui m’a impressionné au premier regard. Et que j’aurais la chance de jouer un petit rôle dans l’histoire des Emirats arabes unis en travaillant si étroitement avec son père fondateur, cheikh Zayed, puis avec ses dirigeants actuels. 

C’est la guerre des Six jours, en juin 1967, entre Israël, l’Egypte, la Jordanie et la Syrie qui a changé votre vie….

C’est un raccourci mais ce n’est pas faux ! A cause du conflit, c’était impossible de rentrer à Jérusalem. Mon père m’a proposé de m’installer à Abu Dhabi et de travailler au sein de l’entreprise familiale. Notre société de construction avait un fort potentiel dans un pays en développement. Mais le domaine du bâtiment ne m’intéressait pas. Il ne correspondait pas à mes études à l’université de Cambridge. Et je suis devenu journaliste. J’étais correspondant pigiste de presse à Abu Dhabi pour des agences de presse comme Reuters ou l’AFP et pour des médias comme le quotidien britannique le Financial Times ou l’hebdomadaire The Economist. Abu Dhabi était un village où tout le monde se connaissait. J’ai eu l’occasion de rencontrer toutes les grandes personnalités dont le cheikh Zayed. En 1968, une chaîne de télévision anglaise m’a proposé de réaliser un documentaire sur lui. Je parlais anglais et arabe. Je pouvais poser les questions et faire la traduction. C’était très intéressant. J’avais lu beaucoup d’ouvrages sur le cheikh Zayed. A la fin du reportage, il m’a demandé de travailler avec lui. Ma vie venait de basculer. 

Le destin des Emirats arabes unis est intimement lié à celui du cheikh Zayed… 

L’explication de l’exceptionnalité de ce pays repose sur la vision et les valeurs du cheikh Zayed qui représentait tout à fait l’homme de la Renaissance, des Lumières et de l’ère de la Raison de la péninsule arabique dont il est devenu, durant quatre décennies, un élément essentiel et son architecte. Aujourd’hui, les institutions des Emirats garantissent notre statut d’État et incarnent sa vision humaniste du monde. La trame du pays et l’identité de ses habitants sont imprégnées des valeurs du cheikh Zayed. 

Avez-vous mesuré tout de suite la vison du cheikh Zayed pour le développement des Emirats ?

Le cheikh Zayed était un leader transformationnel, animé par des valeurs et une vision du monde profondément humanistes. Son succès repose sur quelque chose de profond, immuable et puissant. Il représentait tout ce que le mot arabe murou’a véhicule : générosité, courtoisie, noblesse, charité et empathie. Son discours était passionnant. Sa vision était claire. Et c’est encore aujourd’hui la vision des Emirats arabes unis. Il faut se souvenir qu’en 1968, il n’y avait pas d’infrastructure aux Emirats, pas d’eau, pas d’électricité. Il n’y avait rien. Par ailleurs, la situation politique était également troublée par l’annonce du retrait anglais de la Région. Tous les observateurs internationaux n’imaginaient aucun avenir possible pour cette région perturbée par les conflits sans la protection anglaise. Pourtant, le cheikh Zayed avait confiance en son projet. Il détachait trois axes de développement. Premièrement, il pointait la nécessité de construire une fédération entre les Emirats pour sauvegarder la souveraineté nationale. Il misait sur la naissance d’un réseau d’amitiés et de partenariats entre les différents acteurs de la péninsule arabique. Les observateurs étaient sceptiques. Selon ces derniers, le différents Cheikh ne s’entendraient jamais…. Deuxièmement, il mettait en lumière son tropisme humanitaire. La richesse des Emirats, cadeau de Dieu, devait être dépensé pour récompenser le peuple, la Région et le reste du monde. Il savait que le pétrole allait apporter une immense prospérité aux habitants du Golfe mais il voulait que cette abondance profite à toute l’humanité. Troisièmement, il avait conscience de l’absolue nécessité d’ouvrir les Emirats à la modernité pour accepter les différentes cultures du monde en préservant nos traditions, notre patrimoine, notre héritage et notre caractère émirati. Il m’a convaincu comme il a réussi à convaincre tous ses interlocuteurs. Le cheikh Zayed avait une force de persuasion peu commune qui s’explique par sa sincérité et son humanité. 

Quel était votre travail auprès du cheikh Zayed ? 

J’étais rattaché au département gouvernemental médias et informations. J’ai œuvré pour la création de journaux, de radios et de télévisions. En parallèle, je suis devenu île traducteur officiel du cheikh Zayed. Je l’accompagnais partout, aux Emirats, à l’étranger lors de ses rencontres avec les chefs d’état, les diplomates, les journalistes. Je préparais et organisais les discours, les briefing notes, les rendez-vous. Il avait un charisme incroyable. Il attirait les gens. Les plus grandes personnalités du monde entier voulait rencontrer le cheikh Zayed. C’était une mission exaltante. J’ai eu la bonne fortune de croiser cet homme sur mon chemin. 

Quel était le secret du charisme du cheikh Zayed ? 

Cheikh Zayed parlait avec son cœur. Il était habité par la passion de servir les autres. Et ça transpirait de son âme. Il était aussi extrêmement visionnaire. Dans les années 1960, le cheikh Zayed m’avait déjà parlé de son ambition d’ouvrir son pays à la modernité de la communauté internationale, tout en préservant le patrimoine et l’âme de la culture émirienne. 

Quelle qualité principale vous reconnaissait le cheikh Zayed ? 

Sans doute voyait-il en moi un homme de culture. Il voulait en 1969 d’établir, à Al Aïn, le premier musée des Emirats, et je m’y étais associé. Il manquait des infrastructures de base pour la ville mais la construction d’un musée était urgente et capitale pour le cheikh Zayed. Il désirait que notre premier musée soit un musée d’archéologie. Pour entrevoir un avenir, il faut connaître son passé et son histoire. L’éducation, l’enseignement et la formation sonnaient pour lui comme autant de priorités. En 1971, il n’y avait qu’une poignée d’écoles dans la nouvelle fédération et aucune université. Il était donc essentiel de bâtir rapidement un système d’enseignement primaire et supérieur de premier ordre gratuit et obligatoire pour les filles et les garçons. Pour encourager les parents à envoyer leurs enfants à l’école, les élèves recevaient un salaire en échange de leur présence. Aujourd’hui, plus de 93 % de la population a atteint un niveau d’éducation primaire ou secondaire et les femmes représentent plus de 70 % des diplômés universitaires. 

A la demande du cheikh Zayed, vous avez également organisé en 1969 un événement artistique à Genève…

Le cheikh Zayed visitait régulièrement la Suisse qu’il aimait beaucoup. Nous discutions à l’Hôtel Intercontinental de Al Ain quand il m’a confié l’organisation d’un concert à Genève. Nous sommes allés en Suisse avec un groupe de musiciens émiriens. Ils se sont produits sur la scène de l’université de Genève qui possédait une spécialisation arabe très performante. Quand on a longé le lac Léman entouré de la forêt verdoyante, un musicien qui venait pour la première fois en Europe m’a dit : « Désormais, je sais comment se présente le paradis. » 

La première visite d’état du cheikh Zayed, en France, en 1975, était un premier pas dans la grande amitié qu’allait nouer la France et les Emirats arabes unis.…

Le cheikh Zayed voulait absolument entretenir une relation privilégiée avec la France. La France était le premier choix du cheikh Zayed. La France représentait pour lui le cœur vibrant et indépendant de l’Europe. La France incarnait la fierté de l’Europe. Voilà pourquoi sa première visite d’état depuis la création des Emirats arabes unis s’est déroulée en France où le Président Valéry Giscard d’Estaing et son Premier Ministre, Jacques Chirac nous ont merveilleusement accueillis. Cette visite avait comme objectif d’établir un partenariat stratégique avec un pays qu’il considérait déjà comme un allié naturel et qui désirait jouer un rôle actif pour garantir la stabilité au Moyen-Orient. En 1976, je suis retourné en France avec le regretté cheih Khalifa, qui est décédé au mois de mai. Nous avons signé des partenariats pour implanter, à Abu Dhabi, un lycée français et une Alliance Française que j’ai eu le privilège de diriger pendant plus de quatre décennies. Ensemble, nous avons créé de nombreux points d’attaches des Alliances françaises aux Émirats arabes unis. Pour le cheikh Zayed, les liens axés sur le commerce et la sécurité n’étaient pas suffisants. Il désirait un lien culturel avec la France. Il avait saisi l’opportunité de promouvoir la langue française dans une région anglophone. Et les Emirats arabes unis ont commencé à séduire les Français expatriés… 

La politique étrangère des Emirats arabes unis est respectée et reconnue dans les diplomaties du monde entier…

Le cheikh Zayed a été l’architecte de la politique étrangère qui est maintenant menée par nos dirigeants actuels. Au fil de mon travail en tant qu’interprète et conseiller du cheikh Zayed, j’ai observé ses efforts constants pour apporter bien-être, sécurité et stabilité dans tous les pays avec lesquels les Émirats arabes unis collaborent. Aujourd’hui, notre politique étrangère tend la main de l’amitié dans le monde entier, défend l’esprit de la Charte des Nations Unies et respecte le droit international. Notre réputation sur la scène mondiale est celle de la modération et de l’ouverture. Nos lois œuvrent pour la paix et la prospérité. Les Émirats arabes unis jouent un rôle actif dans les institutions de la gouvernance mondiale. En tant que nation de taille moyenne, nous sommes conscients qu’il est important de faire partie de la communauté internationale. Cette année, les Émirats arabes unis ont siégé pour la deuxième fois au Conseil de sécurité des Nations unies. Les dons caritatifs internationaux ont toujours été une pierre angulaire de notre politique étrangère. Dès les premiers jours, avant même que le pays ne dispose de ses propres infrastructures, des dons à hauteur de 10 % de sa nouvelle richesse pétrolière ont été versés. Aujourd’hui, les Émirats arabes unis sont l’une des plus importantes sources d’aide humanitaire internationale au monde. Ces dons sont faits sans tenir compte de la géographie, de la religion ou de l’appartenance ethnique. 

En 2017, vous avez été nommé Ministre d’Etat en charge de la diplomatie culturelle. En fait, c’est le rôle de votre vie…

Quand nous avons organisé le concert à Genève, nous faisions déjà de la diplomatie culturelle. En 2017, nous avons seulement encadré et développé nos actions et nos ambitions. Nous avons travaillé étroitement avec nos diplomates à l’étranger pour les sensibiliser. Le rayonnement culturel des Emirats arabes unis a toujours été une priorité pour le cheikh Zayed et pour moi-même. Il est impossible d’envisager des liens d’amitiés sans un respect, un échange et un partage des cultures. 

Finalement, le Louvre Abu Dhabi, phare culturel de la capitale des Emirats arabes unis, est une concrétisation de la vision initiale du cheikh Zayed….

Effectivement et ça paraît incroyable de le souligner aujourd’hui, près de cinquante-cinq ans après que le cheikh Zayed a affiché sa vision. D’ailleurs, Le Louvre Abu Dhabi, premier musée universel du Moyen-Orient, était un vieux rêve du cheikh Zayed. Lors d’une visite en France dans les années 50, le Groupe Total lui avait fait visiter plusieurs musées dont Le Louvre. A ses interlocuteurs, il a dit ce jour-là : « Un jour, nous aurons notre musée du Louvre à Abu Dhabi. » A cette époque, il n’y avait rien à Abu Dhabi, pas même le pétrole. Des sociétés de forage essayaient d’en remonter sans succès. Cette vision et ce rêve sont devenus celui de ses successeurs. L’ambition du Musée du Louvre Abu Dhabi, c’est nouer des ponts entre les différentes cultures et parler de l’aventure de l’humanité en terme universel. 

L’Université Paris-Sorbonne Abu Dhabi répond à semblable vision… 

Bâtir des ponts entre la francophonie et l’arabophonie dans le domaine de l’éducation est effectivement une réponse à la même ambition. En 1976, nous avons inauguré, à Al Ain, la première université des Emirats unis. Aujourd’hui, les Émirats arabes unis abritent plus de 120 universités et instituts d’enseignement supérieur dont on retrace les racines aux quatre coins du monde. La diversité de notre système d’enseignement reflète le tissu international et multiculturel du pays, notre ouverture culturelle et notre tolérance. 

Lors des premières discussions, la contestation était très forte en France pour le Louvre comme pour la Sorbonne…

Dire qu’il a fallu convaincre est un euphémisme. Nous avons invité aux Emirats tous les acteurs de ces dossiers. A leur retour en France, ils étaient tous convaincus de la faisabilité de ces projets et surtout de leur nécessité. Tous sont devenus champions de ce rêve. 

Il ya des champions plus grands que d’autres comme Jack Lang…

Jack Lang a en effet pris la plume dans le journal Le Monde pour dire combien Le Louvre Abu Dhabi était une une excellente idée. Cette prise de position a été décisive au moment où beaucoup de décideurs du monde culturel doutaient de l’opportunité d’ouvrir Le Louvre dans le désert. 

Jack Lang dit que vous lui avez soufflé l’idée de cette parution dans le journal Le Monde. Il vous attribue même la paternité du Louvre Abu Dhabi…

Jack Lang m’apprécie beaucoup ! Il est bienveillant avec moi mais il faut chercher la paternité du Louvre Abu Dhabi au sommet respectif de nos deux Etats. Nos présidents ont été leaders et moteurs des ces formidables projets. Bien sûr, j’ai joué un rôle comme beaucoup de personnalités. Ni plus. Ni moins. 

Vous avez beaucoup d’affection et d’admiration pour Jack Lang…. 

Avec André Malraux, Jack Lang est le plus grand Ministre de la Culture de l’Histoire de la République française. Et il appartient au cercle fermé des grands hommes de culture à l’échelle du monde. Il possède une érudition et une culture vraiment unique. C’est un connaisseur très pointu du monde arabe mais aussi de l’Italie par exemple. C’est un penseur, un écrivain, un passionné de musique, d’opéra, d’art. C’est l’inventeur de la fête de la Musique qui est toujours autour de nous, partout dans le monde, pas seulement en France. Ses réalisations, comme la construction de l’Institut du Monde Arabe ou de l’Opéra Bastille, méritent le respect. Et il a contribué au rapprochement personnel entre le Président français François Mitterrand dont il était le Ministre et le cheikh Zayed. 

François Mitterrand et le cheikh Zayed étaient des grands hommes de culture… 

Effectivement, on peut dire que cette passion partagée pour l’art les a rapprochés. Jamais le lien entre les états est remis en question mais la relation personnelle entre deux présidents est toujours incertaine. C’était d’autant plus vrai dans ce cas que le cheikh Zayed bénéficiait d’une réelle proximité amicale avec Jacques Chirac, le prédécesseur de François Mitterrand. Au fil du temps, leur relation est même devenue très amicale. Je me souviens d’un voyage en Egypte, à Alexandrie, où le cheikh Zayed, François Mitterrand et le Roi d’Espagne Juan Carlos avec le Président Sadate avaient échangé sur la possibilité de reconstruire la bibliothèque d’Alexandrie, la plus célèbre et la plus fournie de l’Antiquité… 

Les projets de l’ile de Saadiyat vont-ils hisser Abu Dhabi au rang de capitale mondiale de la culture ?

C’est la vision de DCT (Département de la Culture et du Tourisme) Abu Dhabi et de ses dirigeants, dans le sillage du Président HE Mohamed Khalifa Al Mubarak et de la directrice exécutive Rita Aoun-Abdo, qui ont imaginé un quartier dédié à la culture, à l’éducation et au patrimoine. Saadiyat doit réussir l’amalgame entre les musées, les universités comme l’Université de New-York Abu Dhabi, les bibliothèques et les salles de spectacle. Et devenir la référence de la vie culturelle des Emirats arabes unis. 

L’ouverture du Musée Guggenheim DCT à Saadiyat, en 2025, promet d’être grandiose… 

Aux côtés du Louvre Abu Dhabi et du futur Musée national cheikh Zayed, le Guggenheim ne manquera pas de séduire les amoureux de l’art contemporain de la Planète. Il s’agira d’ailleurs du plus grand musée Guggenheim, avec une surface de près de 30000 m2. Ce sera un véritable chef d’œuvre imaginé par l’architecte Franck Ghery. Désormais, la beauté extérieure d’un musée est aussi importante que l’intérieur. C’est même la première expression du patrimoine. Le succès du Louvre Abu Dhabi doit beaucoup au talent de son architecte, Jean Nouvel. 

La destination Abu Dhabi peut-elle s’imposer sur la carte du tourisme aux côtés de Dubaï ?

C’est vraiment l’ambition de DCT Abu Dhabi ! Mais il n’y a pas de concurrence ou de compétition entre Dubaï et Abu Dhabi. Il n’y en aura jamais. Les deux destinations sont complémentaires. Elle se soutiennent mutuellement. Les touristes visitent Dubaï et Abu Dhabi avec le même bonheur. 

Pouvez-vous d’ores et déjà mesurer l’impact de l’Exposition universelle de Dubaï ? 

L’Exposition universelle a été le plus grand événement jamais organisé au Moyen-Orient. En pleine crise du Covid, nous avons réussi à accueillir 24 millions de visiteurs. De nombreux observateurs pensaient que ce n’était pas possible. Nous l’avons fait ! Nous sommes très satisfaits des retombées internationales. Une autre fierté, c’est qu’il y aura une vie après l’Exposition. Le lieu de l’Exposition va devenir le quartier Dubaï Ville expo avec des centres culturels et des centres de conférences. 

Comment imaginez-vous le développement et la place des Emirats dans vingt ans ? 

Les Émirats arabes unis sont nés dans des circonstances précaires il y a cinquante ans, menacés dans leur existence par des défis nationaux et régionaux. Néanmoins, la quête humaniste du progrès en est ressortie victorieuse. Aujourd’hui, les Émirats arabes unis sont une nation moderne, prospère et ambitieuse, capable d’assurer la sécurité et la stabilité dans la région. Le cinquantième anniversaire des Émirats arabes unis nous a donné l’occasion de réfléchir aux priorités pour assurer notre croissance et notre prospérité des cinquante prochaines années. Il est certain que les progrès relatifs à l’édification de notre nation ont déjà généré le capital intellectuel et culturel nécessaire à une diversification économique qui nous éloigne de la dépendance aux revenus du pétrole. Les cinquante années à venir seront aussi excitantes, grandes et ambitieuses que nos cinquante premières. Nous allons continuer à développer une société basée sur la connaissance. La numérisation, l’intelligence artificielle et les énergies renouvelables seront au centre de nos défis de demain. La taille d’un pays ne présume pas de son poids intellectuel. Les Emirats arabes unis joueront un rôle central dans le projet global de l’humanité. L’horizon des Émirats arabes unis s’est toujours étendu au-delà de ses frontières pour promouvoir l’ouverture internationale, la coopération et la charité. Cette vision du monde prône avant tout la coexistence pacifique, tant au sein des diverses communautés multiculturelles enracinées sur ses territoires, qu’entre les pays et les peuples du monde. 

Les Emirats arabes unis véhiculent un Islam des Lumières… 

Ce n’est pas l’Islam des Lumières, c’est le vrai Islam. Les Émirats arabes unis sont enracinés dans le véritable héritage de l’islam et accordent la priorité à la dignité de la vie humaine. Les stratégies nationales des Émirats arabes unis font écho à la recherche de la tolérance, de la coexistence, de l’empathie, du respect des autres religions et de la compassion. Elles expriment avec force et de manière fondamentale les valeurs humanistes, miroir de ses enseignements islamiques. Son leadership et sa gouvernance se consacrent à garantir à chacun de ses résidents un égal accès aux ressources et aux circonstances opportunes nécessaires à une vie saine, sûre et porteuse de sens. Comment peut-on être heureux, comment peut-on vivre dans le bien-être, comment peut-on se considérer comme un être humain si on est dépourvu de tolérance et d’empathie? 

Ce message fort et universel était aussi celui du cheikh Zayed… 

Complètement. Ces mots étaient essentiels pour lui. On naît dans une religion sans en avoir le choix. Il convient donc d’évaluer l’action des hommes. Le cheikh Zayed disait souvent : « Quand un homme fait du bien, quand il ne nuit pas aux autres, c’est un homme religieux. » Ces questions-là sont en effet au centre de ma vie. Jérusalem est par excellence la ville sainte entre toutes pour les trois religions monothéistes, la ville de la tolérance. Mon cousin Wajeeh Nuseibeh tient les clés du Saint-Sépulcre qui abrite le lieu de la crucifixion et la tombe présumée de Jésus-Christ, à Jerusalem. Une famille musulmane a l’honneur d’être responsable de la conciergerie du divin ! C’est une immense fierté. 

Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de votre parcours? 

J’ai essayé de faire ma part de travail dans une vie de plus en plus difficile avec des conflits de plus en plus nombreux autour de nous. J’ai réussi à porter des débats sur des thèmes d’humanisme, de tolérance et de paix qui me sont chers et qui étaient chers au cheikh Zayed. 

Faire vivre l’héritage intellectuel du cheikh Zayed est le combat de votre vie…

Au crépuscule de ma vie, j’encourage mes enfants, la nouvelle génération à reprendre le flambeau et continuer ce chemin. C’est désormais leur mission !